Nous vous livrons ici le premier chapitre d'un roman policier qui sera édité en septembre par les éditions du Petit Pavé. C'est une avant-première et nous espérons que cette lecture vous procurera quelques plaisirs... La suite à très bientôt si cela vous intéresse...
Chapitre I
- Bonjour, Martin, et bienvenu en Anjou. Je vous en prie, asseyez-vous.
- Merci
- Bon, on ne va pas y aller par quatre chemins. J'ai lu votre dossier et, comme vous devez le savoir, votre affectation dans notre service n'est pas vraiment une promotion. De l'avis de vos anciens patrons, vous faites partie de ce que l'on appelle les « enquiquineurs ». Vous êtes procédurier et râleur. Vous pouvez vous montrer tenace, voire entêté, et avez beaucoup de mal à travailler en équipe. En gros, vous avez du caractère…Vous êtes d'accord avec ce qui est dit ?
Martin fixa le commissaire Leroy et répondit calmement :
- Puisque c'est écrit…
- Il est aussi écrit que vous êtes un bon professionnel et que vous vous investissez à fond dans votre travail.
- ….
- Je pense que je vous ai trouvé un poste qui vous convient. Le ministère nous
a demandé de mettre en place, dans chaque département, un service spécial des affaires non résolues. Notre ministre doit être un fana des séries policières à la télé comme "Cold-Case"… Enfin bref, on nous donne des ordres, mais, comme d'habitude, très peu de moyens financiers. Pour créer notre Service des Affaires Non Elucidées, le SANE, nous avons une enveloppe des plus maigres, voire complètement anorexique… Ainsi, je vous propose à vous Martin, et à vous tout seul, de constituer notre SANE. Vous aurez entière liberté et je resterai votre seul référent hiérarchique. Vous pourrez bénéficier de l'aide des différents services si vous avez besoin de rensei-gnements ou de matériel. Nous aurons une rencontre par semaine. Qu'en dites-vous ?
- Comme vous l'avez dit, je suis un asocial… Votre proposition me tente, mais sur le plan matériel, comment ça se passe ?
- On a quand même un peu de moyens. Vous aurez votre bureau, votre téléphone portable et votre véhicule. Vous avez même un ordinateur avec toutes les techniques derniers cris. Les "Experts" n'ont qu'à bien se tenir… Alors ?
- C'est intéressant, mais je ne pense pas avoir vraiment le choix…
- Non, pas vraiment
- Je vous remercie quand même de me donner quelques moyens.
- Ne me remerciez pas trop, car il y a certaines affaires qui sont bien épineuses. Bon, ce n'est pas le tout, je vais vous montrer votre bureau et vous présenter aux autres inspecteurs.
Le commissaire l'avait entraîné dans les couloirs et avait ouvert une porte. Il l'avait précédé à l'intérieur du bureau. Martin y avait jeté un coup d’oeil rapide pour y découvrir ce que l'on trouve généralement dans le bureau d'un policier : un bureau, des chaises, un classeur et un portemanteau. Il jeta un regard par la fenêtre : il avait une vue imprenable sur la Maine et sur le château du roi René, qui se dressait fièrement, de l’autre côté du pont qui enjambait la rivière. Une véritable carte postale… Il eut envie de demander si son loyer allait être plus cher, mais il se retint. L'heure n'était pas à l'humour et il ne connaissait pas assez bien le commissaire.
- Suivez-moi ! Comme c'est l'heure du briefing, je vais vous présenter à l’ensemble de l’équipe.
Ils arrivèrent dans une salle de réunion où une quinzaine de personnes était installée autour d'une grande table
ovale. Les discussions cessèrent à leur arrivée.
- Je vous présente Martin. Il nous vient de Versailles et va être notre SANE à nous. Je vous demande à tous de lui faciliter son adaptation. Enfin, comme vous pouvez vous en rendre compte, il a de l'expérience et je ne pense pas qu'il ait besoin d'un chaperon. Par contre, il aura sans doute besoin de travailler avec certains d'entre vous et je vous demande d'être coopérants. Vous êtes habitués au travail d'équipe…
Tout le monde observait avec attention le nouveau venu. Martin portait bien sa cinquantaine, mais ne pouvait pas la dissimuler. Certains membres de l'équipe auraient pu être ses enfants. Il n'y eut aucune réflexion, ni sourire ironique. Au bout de quelques secondes, un des inspecteurs se leva. Il était de la même génération que lui et déclara :
- Martin toute la brigade se joint à moi pour te souhaiter la bienvenue. Je m'appelle Vaillant et si tu as besoin d'un coup de main, ou d'un renseignement, je suis là.
- Merci…
- Tu verras, tu seras bientôt un amoureux de la douceur angevine…
Le commissaire reprit la parole :
- Maintenant que vous avez fait connaissance, il va falloir vous mettre au travail. Ça ne sert pas à grand-chose que vous restiez au briefing puisqu'il s'agit des affaires en cours. Je vais vous accompa-gner auprès de Joubert qui vous a fait le tri des affaires qui sont en suspend. Suivez-moi…
Martin lui emboîta le pas. Ils descendirent d'un étage pour se retrouver devant une porte vitrée sur laquelle était apposée la formule « Archives ». Le commissaire lui présenta Joubert qui lui serra vigoureusement la main.
- Joubert, vous lui faites un topo sur les différentes affaires que je vous avais demandées de sortir.
- D'accord ! Je suis remonté un peu plus de quinze ans en arrière et cela fait une bonne vingtaine d'affaires.
- Tant que ça ! Eh bien, Martin, vous n'allez pas chômer… Bon, je vous laisse. Bon courage…
Quatre piles de dossiers étaient posées sur une table. Joubert commença à lui donner quelques explications :
- Bon, on a là toutes les affaires qui n'ont pas été résolues depuis le début des années 90. Je les ai classées par ordre
chronologique, de la plus récente à la plus ancienne. Dans tous les cas ce sont des crimes qui ont été commis dans le département.
- Et la douceur angevine alors ?
- Elle est parfois mise à mal… C’est de la douceur du climat dont il est question ; pour ce qui est des moeurs de nos concitoyens, c’est comme partout ailleurs… Je me suis efforcé de vous constituer des dossiers qui contiennent les informations primordiales, mais si vous souhaitez aller dans les détails, j'ai tout ce qu'il faut.
- D'accord, mais c'est pas parce que j'ai un peu d'âge que tu ne peux pas me tutoyer. C'est la coutume de la maison, non ?
- T'as raison. Le tutoiement n’empêche pas le respect et ça facilite la relation… Pour ta gouverne sache que, depuis deux ans, je me suis lancé dans la numérisation de tous les documents. Le moindre détail de chaque affaire, tu pourras le trouver sur le site que j'ai créé et sécurisé. Tu n'auras qu'à te connecter, avec le code que je vais te confier, et potasser tout ce que tu voudras. Il ne faut pas que cela ne t'empêche de venir me voir de temps en temps ; j'aime bien les visites…
- T’inquiète, il y aura bien des détails que tu auras omis ou des tuyaux que tu pourras me donner. Tu sais, moi, l'Anjou je ne l'ai approchée que dans des verres, via un bon cabernet ou un coteau du Layon.
- Je pourrai vous faire connaître quelques bonnes adresses…
- Je ne sais pas trop par quel bout commencer en voyant ce tas de dossiers… Les affaires qui dorment depuis quinze ans pourront peut-être encore attendre un peu… Dans l'immédiat, peux-tu me donner quelques infos sur les deux ou trois affaires les plus récentes ?
- Bien sûr !
Joubert prit les trois dossiers du dessus, sur la pile de gauche, et entrouvrit le premier d’entre eux :
- Affaire Legrand, c’était il y a 3 ans : un commerçant avait été assassiné dans un village des bords de Loire. On avait essayé de maquiller le crime en suicide, mais ce n’était pas très réussi et la scientifique a vite su le démontrer. En son temps l’affaire avait été suivie par l’équipe de Vaillant, mais l’enquête s’est vite enlisée faute de témoins et de mobile.
- Penses-tu que Vaillant serait prêt à m’en parler ?
- Sans aucun doute ! Il est du genre à reconnaître ses difficultés ou ses échecs. Ils sont dans le flou depuis de nombreux mois et, à vrai dire, ils sont passés à autre chose depuis longtemps.
- D’accord… Affaire suivante, s’il te plait.
- Dans celle-là, il est question du meurtre d'un surveillant de nuit dans un CHRS, dans la campagne Segréenne.
- CHRS ?
- Centre d'Hébergement et de Réinsertion Sociale.
- Ok, continues
- L'affaire a été suivie par le service régional. De multiples pistes, surtout au niveau des résidents, mais rien de concret. Rien de neuf depuis bientôt un an. Le brouillard… Le centre est géré par une grosse association qui implante des établissements dans toute la région. C'est une association bien pensante.
- Comme beaucoup d'associations… Tu peux m'en montrer une autre ?
- Bien… Une petite dernière pour la route ?
- Là, on rajeunit de 5 ans : une institutrice retrouvée étranglée dans sa lingerie qui se trouvait au sous-sol de sa maison. Le mystère est resté entier.
Aucune piste sérieuse, aucun mobile pour qui que ce soit, aucun témoin. Personne n'a rien vu, ni rien entendu, black out complet. L'hypothèse du passage d'un détraqué a été envisagée, mais n'a jamais été confirmée.
- Bon, je crois que j'ai déjà de quoi faire. Je vais prendre ces trois dossiers et tu me mets les autres au frais.
- Pas de problème !
- Au fait, pour le code de ton site ?
- T'as raison, j'allais oublier. Donne-moi six chiffres que tu es sûr de mémoriser.
- Euh… 170256
- Je me disais bien que tu devais être dans la cinquantaine… Tout le monde me donne sa date de naissance. Ton anniversaire est passé depuis peu.
- Plus les années passent et moins j’ai de plaisir à le fêter. Tu peux pas savoir, t’es encore un gamin.
- Je trouve quand même que le temps passe trop vite …
- Bon, je te laisse pour aller étudier ces dossiers.
Martin partit avec ses trois chemises sous le bras et alla s'installer dans son bureau, dont il laissa la porte ouverte. Ce n'était pas parce qu'il allait travailler seul qu'il devait se couper des autres. Il avait
aussi envie de s'imprégner de l'ambiance du commissariat. Rien de mieux que les bruits de couloir pour en avoir une idée. De plus, cela allait éviter de frapper à la porte à ceux qui allaient avoir envie de voir le « nouveau ». Il s'installa et ouvrit le premier dossier, dont il commença la lecture.
En janvier 2006, au petit matin, Mr Legrand, propriétaire et gérant du Bar-Tabac-Presse d’Ingrandes sur Loire, avait été découvert, par sa femme, pendu à une poutre de la remise du magasin. Même si tout portait à croire qu’il s’agissait d’un suicide, la machine judiciaire s’était mise en route. La scientifique fit son travail et démontra que la corde, avec laquelle Legrand s’était pendu, était trop courte de vingt bons centimètres. S’il n’avait pu se pendre seul, quelqu’un l’y avait aidé et, ce quelqu’un n’avait, bien sûr, pas laissé son adresse, ni une quelconque trace ou empreinte qui auraient permis de le pister. Quelques cellules épithéliales avaient été trouvées sur la corde, mais elles ne corres-pondaient, évidemment, à aucun profil connu. Les recherches ADN effectuées, sur un grand nombre d’habitants, n’avaient rien donné.
Rien n’avait disparu, ni dans la réserve, ni dans le magasin et l’hypothèse d’un cambriolage qui aurait mal tourné avait été écartée. Un cambrioleur, qui aurait été surpris, aurait, peut-être, assommé Legrand et détalé en quatrième vitesse, mais ne se serait pas amusé à faire toute cette mise en scène.
Martin s'arrêta en pleine lecture se disant que ces trois affaires, même si elles étaient très différentes, méritaient que l'on s'y intéresse, au même titre que toutes celles qui restaient en souffrance. Il aurait voulu les traiter toutes les trois en même temps, mais ce n'était pas possible. Il devait avoir de la méthode. Des familles souffraient depuis des années et méritaient toutes de connaître les raisons du départ d'un être cher. Il imaginait leur détresse, leur incompréhension. L’image qu’elles se faisaient de la police et de la justice ne devait pas être très reluisante. Il devait faire le maximum pour chacune d'entre-elles. Malgré ses hésitations, il se décida à continuer l’étude de l'affaire du buraliste et se donna un délai de 15 jours : si rien n'avait bougé d'ici-là, il passerait au dossier suivant…
- Alors, Martin, ça va ?
Comme il l'avait prévu, il y avait en Anjou autant de curiosité qu'ailleurs…
- Je m'appelle Germain, mais tu peux m'appeler "Gégé", comme tout le monde.
- D'accord, Gégé !
- Tu vas voir, tu vas te plaire ici. Le patron est exigeant, mais c'est un mec bien et l'ambiance est bonne. Il paraît qu'ils ne voulaient plus de toi à Versailles ?
- Peut-être que je parlais un peu trop et que je devenais gênant…
- Y avaient des ripoux ?
- Non, mais j'étais un peu trop zélé comme syndicaliste. Le syndicat n'a rien fait quand on a commencé à me mettre au placard, alors je suis heureux d'être ici et je n'ai plus de carte syndicale.
- Ici, on est respecté quand on fait bien son travail.
- Alors, je ne pense pas que j’aurai trop de soucis…
- Aller, faut que j'y aille. Bon courage !
- Merci, à toi aussi.
Il décida d'emmener le dossier chez lui pour l'étudier au calme et plus en détail. Avant de quitter le bureau, il alluma l'ordinateur pour voir si son code d'accès au site de Joubert fonctionnait. Aucune difficulté. Son site était vraiment simple
d'utilisation : il suffisait de taper un mot clé pour accéder aux documents que l'on souhaitait consulter. Il tapa « légiste » et vit apparaître tout ce qui concernait les conclusions du médecin. La liste des mots qui permettaient de naviguer restait toujours affichée, mais ne dissimulait rien de ce qui était consultable. Il avait fait dans le pratique, le Joubert. Il était doué. Martin se promit de ne pas oublier de lui rendre visite de temps en temps.
Martin n’était pas un expert en informatique, mais il savait naviguer correctement sur le net. Il afficha la carte du Maine et Loire et se mit à la recherche d’Ingrandes sur Loire. Il n’eut que peu de difficultés à trouver le village situé aux confins du département : il suffisait de suivre la Loire. Il imprima son itinéraire pour rejoindre la petite cité ligérienne, à une bonne trentaine de kilomètres de la capitale angevine.
En partant, il se fit remettre, à l’accueil, les clefs de son véhicule de fonction par une préposée au sourire avenant. Il devait être agréable de se faire accueillir ainsi quand on avait des soucis. On vient rarement dans un commissariat avec beaucoup de baume au coeur… Il prit
possession d’une voiture qui, si elle n’était pas récente, semblait en bon état.
Il rentra chez lui. Il avait trouvé un petit appartement, dans une tour, au sud de la ville, dans le quartier de la Roseraie. Son départ de Versailles n'avait pas été problématique car il vivait seul depuis de très longues années. Sa femme avait été emportée par un cancer, neuf ans auparavant, et ils n'avaient pas d'enfants. Le déménagement avait juste un peu perturbé son chat, un gros matou gris qui passait son temps à se prélasser et à manger. Il n'avait pas de croyance particulière en ce qui concerne l’après vie, mais il rêvait, parfois, d'une réincarnation en chat…
Il était installé depuis deux jours qu'il avait occupé à ranger ses bouquins et ses disques des années 70, dont il ne se lassait pas. Il s'était un peu baladé dans la ville qu'il avait trouvée agréable, malgré les travaux du tram. Il avait pris ses habitudes dans un petit resto du quartier qu’il avait préféré aux différents établissements de restauration rapide qui fleurissaient à de nombreux coins de rues. Sur le plan matériel, tout était réglé et il allait pouvoir se lancer, l'esprit libre, dans son enquête.
Il se replongea dans le dossier qu'il éplucha de long en large pour bien s'imprégner de la façon dont l'enquête avait été menée. Elle n'avait pas abouti, donc il allait falloir la prendre par un autre bout, sans aucun à priori et avec un oeil neuf.